Honorable Sénateur Christophe-André Frassa,Président de la Commission Politique de L’Assemblée parlementaire de la Francophonie ;Distingués invités, en vos rangs, titres, grades et qualités respectifs ;

Je tiens tout d’abord à vous exprimer ma gratitude, en tant que Président du Conseil National de la Transition de la République de Guinée, pour votre invitation à nous adresser, pour prendre part aux travaux de la Commission politique de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui se tient aujourd’hui à Luxembourg.

Je saisis l’occasion pour vous transmettre les salutations chaleureuses du Conseil National de la Transition et la haute considération du peuple de Guinée, ainsi que celle de Son Excellence, le Général Mamadi Doumbouya, Chef de l’État de la République de Guinée.

Permettez-moi de saluer l’initiative opportune de cette réunion qui vise entre autres à maintenir des canaux de dialogue ouverts avec l’ensemble des membres et adhérents de notre institution. Cette institution qu’est l’APF, devient plus que nécessaire dans un monde en mutation démocratique. Une mutation ensoleillée par un nouveau paradigme de non alignement socio-culturel et politique des peuples surtout d’Afrique francophone.

Rien de méchant, mais c’est le cour normal de l’histoire. Ceci m’amène à citer cet historien et démographe Américain, Neil Howe, « chaque génération réécrit l’histoire à la lumière de sa propre expérience ».

Comme par coïncidence opportune nous nous retrouvons au Luxembourg, ce beau pays qui a enfanté l’APF.

Instamment habité par une profonde reconnaissance à l’endroit des initiateurs de notre invitation, je salue la décision. Voudrais-je dire la décision d’associer les représentants des sections dites suspendues de l’APF à participer à ces échanges. C’est là une démarche qui témoigne de l’engagement de notre institution à maintenir sa ligne de valeurs et de principes en lien avec ses missions : Promotion culturelle et linguistique, Renforcement des capacités des parlements et des parlementaires, engagement international en faveur du dialogue, de la paix et des droits humains, dont la diplomatie parlementaire revêt un efficace levier en faveur de la tolérance, de la démocratie et de la transparence dans notre espace commun.

Mesdames et Messieurs

En venant à cette rencontre nous réaffirmons notre adhésion aux idéaux francophones, et surtout notre détermination à œuvrer avec tous les parlements membres pour la préservation de notre espace culturel commun. Oui cet espace qui présente visiblement aujourd’hui des sévices temporelles infligées par l’âge, des signes d’épuisement du fait de son émiettement insidieux et surtout de la forte et brutale tendance à la multipolarisation du monde d’aujourd’hui : la multipolarité évoquée actuellement contre la bipolarité qui a toujours existée, de même que le procès fait à tort ou à raison à la mondialisation ne doivent être un alibi de domination culturelle. Nous avons pris conscience au fil des ans et des décennies, que la culture démocratique ne s’importe pas, elle ne s’impose pas aussi, mais elle se construit par des générations successives. Nous sommes déterminés à contribuer à la visibilité et à la lisibilité de l’idéal multiculturel et démocratique promu par la francophonie.

Nous venons à cette réunion avec l’objectif de faire un plaidoyer en faveur d’un accompagnement de l’ensemble de la communauté internationale et plus particulièrement de la Francophonie au processus de transition en Guinée. Nous sommes demandeurs d’une compréhension des motivations et de la vision du processus de refondation en cours dans notre pays.

Depuis le 05 septembre la Guinée est entrée dans la 3ème Transition de son histoire, depuis son accession à la souveraineté nationale et internationale en 1958. Mais cette dernière est voulue unanimement par les populations guinéennes, comme la dernière transition.

Dois-je encore rappeler la particularité de circonstance et de motivation qui a amené l’armée guinéenne a répondre aux cris de cœur et aux sollicitations de la population, notamment de la classe politique.

Ce sursaut citoyen à contribuer à arrêter la répression des civiles, à stopper la continuation d’un 3eme mandat présidentiel illégitime et inconstitutionnel imposé au peuple au prix de violents abus des droits de l’homme, d’un bradage systématique des ressources nationales pour financer cette farce électorale et surtout de l’accroissement de la paupérisation des citoyens.

Au regard de notre histoire, l’enjeu principal de la transition est la mise en commun de toutes les conditions pour le passage d’une transition politique (retour à l’ordre constitutionnel) vers une transition démocratique, celle qui permettra, à travers la solidité et le dynamisme des institutions, une meilleure prise en charge des aspirations du peuple. Une réponse donc aux défis majeurs du pays en termes de conditions humaines de santé, de logement, d’éducation, de travail etc. C’est le sens de la démocratie substantielle qui est la continuité et la finalité ultime de la démocratie procédurale qui se résume quant à elle aux simples élections, mais surtout aux élections présidentielles. Chers partenaires, à quoi sert honnêtement d’organiser des élections où les mêmes sont les gagnants ?

Des élections à des coûts très élevés et dont les lendemains sont soldés par la dictature et le népotisme ou qui s’achèvent par des coups d’Etat cycliques.

Pour y arriver, il faut des institutions fortes, bâties sur des fondements propres et authentiques. Institutions au rang desquelles celles qui administrent la justice et protègent l’indépendance des juridictions et des magistrats. Dans cette perspective, la constitution se positionne comme un fondement inéluctable en tant que texte fondateur de la République et le socle du contrat social. C’est pourquoi le conseil national de la transition de la République de Guinée s’appuie sur des mécanismes de fond et de procédés afin de produire un texte constitutionnel qui reflète les réalités du pays. Seul moyen crédible pour bâtir une démocratie réelle et qui a un sens pour le peuple de guinéen. Ce qui nécessite sans doute l’adhésion populaire, des moyens multiformes et du temps et de l’accompagnement des partenaires techniques et financiers. D’ailleurs, si nous visitons l’histoire, on se rend compte que cette position est celle que la francophonie et ses instances représentatives et consultatives comme l’APF ont toujours soutenu depuis des années. En effet, la déclaration de Bamako de 2000 à la suite du « symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone » parlait à juste titre de la nécessité d’adapter la démocratie aux réalités de chaque peuple « the national circunstances ».

Le chapitre 5 de cette déclaration mérite d’être rappelé à cette occasion:

* Francophonie et démocratie étant indissociables, la Francophonie fait de l’engagement démocratique une priorité qui doit se traduire par des propositions et réalisations concrètes ;

* Pour la Francophonie, il n’y a pas de mode d’organisation unique de la démocratie et, dans le respect des principes universels, les formes d’expression de la démocratie doivent s’inscrire dans les réalités et spécificités historiques, culturelles et sociales de chaque peuple ;

* Pour la Francophonie, la démocratie et le développement sont indissociables : ce sont là les facteurs d’une paix durable.

De cette volonté populaire, les autorités guinéennes ont structuré les attentes du peuple en 5 valeurs fondamentales : la Refondation de l’Etat, la Rectification institutionnelle, le Rassemblement national, le redressement socio-économique et le repositionnement régional et international.

Parlant dudit processus, permettez-moi de vous en dire succinctement quelques mots. Dans le domaine législatif, le CNT a examiné et adopté plusieurs lois organiques, plus d’une cinquantaine de lois ordinaires, des recommandations
importantes et des résolutions.

À travers d’une part l’adoption de la loi-programme portant Programme de Référence Intérimaire (PRI), outil d’opérationnalisation de la feuille de route de la Transition et, d’autre part, l’examen et l’adoption des lois de finances initiales 2023 et 2024, tranches annuelles de ce PRI, avec leur respective loi de finances rectificative et celle de 2022, le CNT a assuré et continue d’assurer sa fonction de suivi de la mise en œuvre de la feuille de route de la transition. Dans le même ordre, il a institué une Commission de Suivi de ses Résolutions et Recommandations et une Commission Spéciale d’Évaluation des politiques publiques.

Dans le cadre de sa contribution à la défense et à la promotion des Droits de l’homme et des libertés publiques, l’organe législatif de la Transition s’est inscrit dans la dynamique de prendre systématiquement en compte les problématiques du genre et de l’inclusion des personnes handicapées. Deux rapports d’information parlementaires rendus publics depuis le début de la Transition : un sur les conditions de détention dans les prisons et l’autre sur la mise en concession du plus grand hôpital du pays, l’hôpital Donka.

Il a surtout adopté en septembre 2023 la loi fixant les règles de protection des victimes, des témoins et des autres personnes en situation de risque et celle portant Aide juridictionnelle ayant permis la tenue du procès historique sur les tristes évènements du 28 septembre 2009.

Sur le plan socio-économique, la Guinée a exprimé un vif regain de dynamisme qui lui a valu d’être admis par le FMI et la Banque Mondiale dans le groupe des pays à revenu intermédiaire. Ce dynamisme est amplement palpable à travers un indéniable essor infrastructurel, dans un environnement de réformes soutenues, de rectification institutionnelle et de refondation nationale, avec la justice comme pierre angulaire.

Mesdames et Messieurs,

Vous comprendrez bien que tout cela concourt au retour serein à un ordre constitutionnel normal ; une démarche au cœur de laquelle se trouve l’élaboration d’une nouvelle constitution. Nous voici donc au dernier petit virage d’un long processus que nous avons voulu participatif, inclusif, empreint de toute l’endogénéité qui sied.

Pour y arriver, nous avons, dès après notre installation, consulté les populations à la base et successivement organisé un grand Symposium sur le constitutionnalisme en Guinée et un Débat d’orientation constitutionnel dont la riche moisson nous a permis de plancher sur un avant-projet de constitution au dernier peaufinage duquel nous sommes aujourd’hui attelés.

Sur un plan parallèle, vous voudrez bien noter que c’est avec grand plaisir que la Guinée a relancé sa coopération avec la CEDEAO et qu’elle a retrouvé sa place au sein du Parlement communautaire ouest-africain.

Les médecins les plus futés savent qu’on ne peut pas soigner toutes les maladies avec les mêmes remèdes. Cette manière de faire à montrer ses limites, avec le temps. Ces vieilles pratiques ont été mises à nues par la jeunesse africaine. Il faut changer les méthodes diagnostiques et les remèdes.

Mesdames et Messieurs,

Nous venons de mener en Guinée une revue du volet recettes de la loi de finances initiale 2024 au lendemain de la catastrophe résultant de l’incendie ayant détruit le principal dépôt de carburant du pays le 18 décembre 2023. Cette catastrophe a obéré l’épargne et les revenus fiscaux et a entraîné d’énormes dépenses imprévues nécessaires à la bonne marche de l’appareil économique.

Je saisis encore cette opportunité, pour réaffirmer l’engagement de la Guinée en faveur de la démocratie, de l’État de droit et de la pleine jouissance des droits de l’homme. Nous sommes déterminés, au sein du CNT à travailler de concert avec l’ensemble de nos partenaires au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie et des autres enceintes supranationales pour promouvoir la stabilité politique, la coexistence pacifique, le développement durable et le respect des principes démocratiques dans l’espace francophone et international.

Je crois néanmoins devoir souligner la difficulté de la construction démocratique. Elle est une œuvre de longue haleine ; même les vieilles démocraties sont aujourd’hui confrontées à un regain des idéologies conservatrices et au populisme, qui impactent négativement la démocratie.

Je constate avec espoir et bonheur que la famille de la francophonie et ses instances sont devenues des actrices majeures au sein de la communauté internationale. Nous sommes les héritiers des Pères fondateurs d’un inaltérable patrimoine de solidarité, développé entre les pays de l’espace francophone en vue de relever, ensemble, les défis de la globalisation. Nous devons veiller, avec une vigilance accrue sur cet héritage en s’assurant du bon fonctionnement de ses organes et instances.

C’est le lieu de solliciter l’implication et l’accompagnement de l’APF et de tous les pays frères et amis dans les processus de transition en cours en Afrique, notamment dans mon pays, la Guinée.

Les chantiers les plus audacieux sont :
1) la refonte du fichier électoral par un nouveau dénombrement de la population et des ménages, couplé à un vaste programme d’établissement et de modernisation de l’état civil ;

2) L’élaboration d’une nouvelle Constitution avec pour socle le renforcement de l’indépendance de la justice, l’encadrement des pouvoir du Président de la République, la clarification et le renforcement de la décentralisation, l’instauration du parlementarisme bicaméral pour mieux intégrer la diversité culturelle et régionale dans la gouvernance. L’ouverture des élections aux listes indépendantes et son encadrement.

3) La réforme profonde des institutions d’appui à la gouvernance démocratique : en termes de rationalisation, d’interactions, de sensibilité au genre et surtout intégrant la question du handicap.

4) La réforme des partis politiques et de l’espace partisan.

5) L’encadrement du recours au référendum pour éviter le tripatouillage
constitutionnel.

L’asymétrie dénoncée dans les relations internationales et dans le multilatéralisme, et la surdité des partenaires face aux bruits de son émiettement annonce le déclin du partenariat international.

Le signe le plus manifeste est la persistance de la politique de sanctions télédictée par certains pays aux institutions régionales, notamment africaines. Ces sanctions d’humeur qui contribuent à l’émiettement du bouclier démocratique, sont imposées à un triple
niveaux :
– les pays développés imposent à nos organisations régionales/sous
régionales ;

– les organisations régionales sans débats contradictoires les imposent aux gouvernements des pays en transition ;

– les gouvernements des pays en transition à leur tour imposent à leur peuple.

Il est souhaitable d’aider les pays en transition à réussir leurs réformes démocratiques. Ces réformes doivent tenir compte des préoccupations légitimes de chaque population.

Je vous remercie pour votre attention et me réjouis à l’avance des échanges fructueux que nous aurons au cours de cette rencontre.

Vive l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie !

Vive la coopération interparlementaire !

Je vous remercie !