Vaccins, climat, redistribution de « droits tirage spéciaux »… Pendant deux jours à Bruxelles, le sommet UE-UA aura planché sur la (re)définition d’un « partenariat rénové » entre les deux continents. Parmi les décisions présentées comme majeures, le lancement d’une « stratégie globale d’investissements » d’au moins 150 milliards d’euros sur sept ans a été annoncée pour « aider des projets voulus et portés par les Africains ». La priorité sera mise sur les infrastructures de transport, les réseaux numériques et l’énergie, selon la déclaration finale de la rencontre.

« Cette enveloppe, si elle est effectivement mobilisée, constitue une avancée considérable et un pont entre nos continents » a salué Macky Sall, président du Sénégal et de l’Union africaine (UA).

 

La vocation de cette stratégie n’en est pas moins philanthropique mais elle cherche davantage à contrer les influences russes et chinoises qui s’exercent significativement sur le continent. Le président français Emmanuel Macron confirme : « l’Union européenne veut être le partenaire de référence pour le financement des infrastructures ». Un domaine qui, ces vingt dernières années en Afrique, a été spécifiquement financé par la Chine.

Financements ou investissements ?

La nouvelle stratégie économique entre l’Afrique et l’UE est présentée comme un « paquet d’investissements ». Cependant, le socio-économiste et directeur de recherche émérite (CNRS) Thierry Pairault met en garde : « Il s’agit en réalité d’un plan de financements et non d’un plan d’investissements. Ce n’est pas l’Europe qui investira ! L’Europe mettra à disposition des sommes d’argent qui financeront, au final, des investissements africains. C’est exactement ce que la Chine a fait ces deux dernières décennies. »

La Banque mondiale a travaillé main dans la main avec la Chine et a fait croire que le modèle chinois était la solution pour le développement.

Thierry Pairault, socio-économiste et directeur de recherche émérite (CNRS)

La stratégie chinoise a porté ses fruits en terme d’influence sur le continent ces vingt dernières années. En 2020, les entreprises chinoises représentaient 31 % des projets d’infrastructures en Afrique, contre 12 % en 2013 selon The Economist. À l’inverse, les entreprises occidentales ne couvraient que 12 % des projets en 2020 contre 37 % en 2013. En 2019, la Chine devenait le premier partenaire commercial du continent africain.

Un bilan qui pourrait expliquer la stratégie de contre-attaque de l’Union européenne, mais qui comporte aussi de larges déconvenues. Thierry Pairault pointe du doigt le tandem Chine/Banque Mondiale, à l’initiative de nombreux projets d’infrastructures sur le continent :

« La Banque mondiale a travaillé main dans la main avec la Chine et a fait croire que le modèle chinois était la solution pour le développement et qu’il suffisait de construire des infrastructures pour résoudre des problèmes. Au final, ils se sont rendus compte que les effets désirés étaient beaucoup plus limités. »

 

Le chercheur en veut pour preuve le chemin de fer qui relie la capitale éthiopienne Addis Abeba à Djibouti. Le chantier permis par l’aide financière et de la main d’oeuvre chinoise s’est terminé en 2016 et a engendré un coût de 4,2 milliards de dollars. Cependant depuis son inauguration, la ligne qui se veut être le principale axe logistique d’exportation de la « future Chine de l’Afrique », manque de marchandises pour la rendre rentable. L’électricité nécéssaire pour faire fonctionner le train entièrement électrifié est aussi difficilement mobilisable, ce qui conduit à de nombreuses mises hors service.

« Il ne suffisait pas de réaliser ces infrastructures pour qu’elles fonctionnent. Il fallait aussi garantir qu’elles puissent créer des moyens de remboursement. » abonde Thierry Pairault. Aujourd’hui, la part de la dette éthiopienne due à la Chine compte pour presque 77 %.

Les pays africains pèsent 54 voix à l’assemblée générale des Nations unies. Ces dernières années, leurs soutiens aux motions votées par la Chine ont été considérables.

Thierry Pairault, socio-économiste et directeur de recherche émérite (CNRS)

Intérêts géopolitiques ou économiques ?

Si les retombées économiques ne sont pas au rendez-vous, la Chine a pu se constituer une « large clientèle africaine » afin de remplir plusieurs des objectifs géopolitiques. « Les pays africains pèsent 54 voix à l’assemblée générale des Nations unies. C’est presque 30%. Ces dernières années, leurs soutiens aux motions votées par la Chine ont été considérables. » remarque le socio-économiste, selon qui l’Europe souhaite désormais « regagner cette influence qui a été perdue à travers une activité diplomatique chinoise intense. »

 

Même au sein de l’Afrique de l’Ouest, majoritairement francophone et avec laquelle la France possède un lien historique, la Chine a réussi à se faire une place significative parmi les partenaires. Avec le Mali, allié de longue date de la France, la Chine a su élaborer des relations économiques et militaires de premier plan.

Entre intérêts économiques et géopolitiques, lesquels prévalent sur la future stratégie européenne envers l’Afrique ? Bruxelles qui ne se cache ni des uns ni des autres sait cependant que, désormais, « l’Afrique est courtisée. Elle a le choix de ses partenaires. »