Entretien !
Vous avez récemment proposé pour la durée de la transition, 39 mois. Mais le CNT a opté pour une transition de 36 mois. Qu’est-ce qui justifie cette durée ?
COLONEL MAMADI DOUMBOUYA : 39 ou 36 mois, ce n’est pas le nombre de mois qui importe. Mais ce qui va être fait pendant la période de la transition pour le bien de la Nation. De plus, une durée de transition est forcément corrélée à l’exécution de certaines activités qui sont fondamentales pour le futur de la Guinée. Ceci dit, la durée proposée tient compte du temps nécessaire à la mise en œuvre des tâches qui sont indispensables pour la construction d’un pays normal et assaini. Si on veut faire les choses sérieusement et ainsi éviter que le pays ne retombe dans ses travers du passé, nous devons prendre le temps de corriger des faits qui menacent la Guinée dans ses fondements. Le recensement général de la population par exemple, pour être bien fait, nécessitera plusieurs mois. De même que la rédaction et l’adoption de la nouvelle constitution. Donc, nous n’agissons pas dans la logique d’une transition à rallonge, mais dans une dynamique de refondation d’un pays qui allait très mal.
Que pensez-vous de la situation de ce pays avant les évènements du 5 septembre ?
La Guinée est un pays qui dispose d’importantes ressources naturelles qui suffisent à son développement. Mais malheureusement, la mauvaise gestion du pays qui a caractérisé les gouvernances successives, le tissu social qui s’est beaucoup effrité du fait des manipulations politiques, tous ces facteurs, et bien d’autres ont plombé les perspectives de progrès au détriment des populations. C’est pourquoi, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour inverser cette tendance.
Certains estiment que vous vous employez à étendre la durée de la Transition pour rester au pouvoir. Qu’en dites-vous ?
Dès le lendemain du 5 septembre, j’ai clairement exprimé ma volonté d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel. L’engagement pris dans la charte sur ma non candidature et celle des membres du CNRD, traduit, on ne peut mieux, mes intentions. Cependant, il est raisonnable pour moi de corriger les défaillances qui pourraient reconduire le pays vers l’abîme, comme ce fut le cas, dans un passé récent. Le but pour moi, est de permettre aux futurs dirigeants de la Guinée de trouver un pays nettoyé, assaini et épuré. C’est en tout cas le sens des réformes que le CNRD, sous mon autorité, a engagées depuis le 5 septembre.
Justement Monsieur le président, vous avez créé la CRIEF et lancé l’opération de récupération des domaines de l’Etat. Qu’attendez-vous de ces mesures ?
Je vous remercie de n’avoir retenu que ces deux sujets, mais je vous rappelle que depuis le 05 Septembre, nous avons entamé énormément de projets structurants au profit de l’Etat. Plus de 60 ans après l’indépendance de la Guinée, nous n’avons pas de routes, les Guinéens dans leur large majorité vivent dans la misère, les écoles et les hôpitaux sont dans de piteux états. Pendant ce temps, un petit groupe de personnes s’enrichit à coups de milliards de francs guinéens, s’attribuent des biens de l’Etat en se servant de leur statut. Cela ne peut pas continuer.
C’est pourquoi, la reddition des comptes pour des personnes ayant géré la chose publique est tout à fait normale. Il revient à la justice, et à elle seule, d’apprécier cette gestion et d’en tirer les conséquences de droit. De plus, les biens qui sont du domaine public doivent revenir, advienne que pourra, dans le portefeuille de l’Etat. Et ce sont des mesures de salut public qui ne sont dirigées contre personne, mais sont destinées simplement à restituer à l’Etat ce qui lui appartient. Le peuple de Guinée mérite ça au moins.
Pourtant Monsieur le président, certains prêtent à ces mesures que vous venez d’évoquer, une volonté de votre part d’écarter des leaders politiques de la course à la prochaine présidentielle. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
Vous savez, aller aux élections pour solliciter le suffrage des Guinéens est une chose, répondre de sa gestion de la chose publique en est une autre. Donc, les deux choses sont totalement différentes. Moi, je souhaite savoir ce qui a été fait, ces dernières années, des biens qui appartiennent, à vous, à moi et à tous les Guinéens, comment ces biens ont été administrés. Et il revient à la justice de déclarer telle ou telle personne éligible ou inéligible. Je ne m’ingère pas dans le travail de la justice. Ce n’est ni mon intention ni mon travail. La justice encore une fois, sera la boussole de cette transition, et j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux.
Le Procureur général près la Cour d’appel de Conakry a annoncé des poursuites pour crimes de sang à l’encontre d’anciens dignitaires du régime déchu. Certains y voient une chasse aux sorcières orchestrées depuis le Palais Mohammed V. Qu’est-ce que vous en pensez ?
En tant que Président de la transition, je suis le garant des institutions, et par ricochet, de l’indépendance de la Justice. A ce titre, il ne me revient pas de commenter une affaire pendante devant la justice. Ce que je peux vous dire par contre, c’est que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les magistrats dans l’exercice de leurs fonctions ne subissent aucune pression venant de qui que ce soit.
Avez-vous un candidat que vous parrainez discrètement pour lui remettre ensuite le pouvoir ?
Je vous rassure, le seul candidat que je suis prêt à parrainer, c’est le peuple de Guinée.
Avez-vous, Monsieur le président, un message particulier à lancer aux Guinéens pour terminer cet entretien ?
Évidemment. Guinéennes et Guinéens, mon intention est de respecter les engagements que j’ai pris devant vous et devant l’histoire, en me battant à vos côtés pour vous rendre ce qui vous a été pris. Une Guinée nouvelle, avec des dirigeants qui font corps avec les aspirations du peuple, est possible. C’est l’objectif qui guide et oriente mes actions. Que Dieu bénisse la Guinée !
Interview réalisée par la DCI