Tant que le nouveau maître de Conakry n’aura pas dévoilé ses intentions, que la composition du comité militaire qui l’entoure restera opaque et que le calendrier de la transition jusqu’au retour des civils au pouvoir ne sera pas établi, la période d’apnée politique que traverse la Guinée se prolongera. Au risque de provoquer une asphyxie de la démocratie.
Ce que l’on sait de Mamadi Doumbouya, outre son physique avantageux de pilier de mêlée en battle-dress propre à séduire les couturières du marché Madina – un atout esthétique sur lequel avant lui jouèrent d’autres militaires médiagéniques comme Thomas Sankara ou Jerry Rawlings – tient en la partie émergée d’un iceberg. Jusqu’à preuve du contraire, le colonel putschiste du 5 septembre 2021 apparaît comme un homme honnête et de bonne volonté, désireux de nettoyer les écuries de la République tout en préservant les libertés et – ce qui ne gâche rien – plutôt humble. Un patriote aussi, que l’on dit habité par l’idée qu’il se fait de la Guinée, même s’il s’agit là d’une passion commune à tous les chefs d’État qui l’ont précédé, de Sékou Touré à Alpha Condé.
Le problème est que ce que l’on croit connaître de lui s’arrête là et que la partie immergée de l’iceberg Doumbouya demeure un mystère inexploré, sept mois après sa prise du pouvoir. Tout comme est quasi-illisible, pour l’instant, l’avenir politique de la Guinée.
Part d’inconnu
Le voyage en terra incognita commence par la biographie du personnage, sur lequel on ne connaît en réalité que des bribes avant son irruption sur le devant de la scène. Très peu de choses ont filtré sur sa jeunesse, sur le légionnaire qu’il fût en Afghanistan ou en Centrafrique, sur ses stages de formation, ni même sur son rôle exact en tant que patron des forces spéciales dans la répression de la mutinerie de Kindia et des manifestations contre le troisième mandat d’Alpha Condé.
CETTE OMERTA DONNE LA FÂCHEUSE IMPRESSION QUE LES MILITAIRES CHERCHENT À JOUER LES PROLONGATIONS ET À S’INCRUSTER AU POUVOIR
Le putsch du 5 septembre recèle toujours sa part d’inconnu. Combien de morts (on parle de 150) ? Où sont passés les sacs de devises (plusieurs millions, en euros et en dollars), saisis lors du pillage du palais de Sékhoutoureya ? On ne sait rien, non plus, de la composition du comité militaire, le CNRD, en dehors de quelques-uns de ses membres. Et rien du chronogramme de la transition, ni de la date des élections promises.
À Conakry (comme à Bamako), cette omerta donne la fâcheuse impression que les militaires cherchent à jouer les prolongations et à s’incruster au pouvoir. Soyons réalistes pourtant : nul tambour de guerre ne résonne dans les faubourgs de la capitale pour exiger le retour des hommes en treillis dans leurs casernes.
Ultime outrage
Si beaucoup de Guinéens sont toujours sous le charme de Mamadi Doumbouya, les principaux leaders de l’ex-opposition commencent, eux, à sérieusement déchanter. Applaudir comme ils l’ont fait à la chute d’Alpha Condé, en espérant que la junte ramasse pour eux les marrons du feu, c’était oublier un peu vite que le colonel et ses proches les englobaient dans leur profonde défiance à l’égard de la classe politique guinéenne dans son ensemble. Au point de faire à Cellou Dalein Diallo et à Sidya Touré l’affront qu’Alpha Condé n’avait pas osé : les expulser de leur domicile considéré comme bien mal acquis et les sommer de rendre des comptes sur leur gestion passée.
Pour eux, et en particulier pour « Cellou » – lequel, à l’instar d’un Martin Fayulu, d’un Jean Ping, d’un Maurice Kamto ou d’un Agbéyomé Kodjo se considère comme le « président élu » depuis la présidentielle de 2020, tout en estimant à juste titre avoir joué un rôle majeur dans la déstabilisation d’Alpha Condé –, l’ultime outrage serait de se voir interdire de « compétir » à la prochaine course à la magistrature suprême, pour cause de limite d’âge ou d’inéligibilité judiciaire.
CatharsisNous n’en sommes certes pas encore là, mais des lignes de tension réapparaissent, sur fond d’accusations réciproques de communautarisme entre une junte dont l’opacité alimente les rumeurs de « malinkocentrisme » et le principal parti de l’opposition, essentiellement implanté au sein de la communauté peule.
À cela s’ajoutent les doutes sur une possible instrumentalisation de la Cour de répression des infractions économiques et financières, dont l’objectif pourrait être de débarrasser le nouveau régime de tout concurrent potentiel, voire de juger Alpha Condé dans un procès-catharsis (mais à double tranchant), susceptible d’offrir aux militaires un surcroît éphémère de popularité. Tant que les intentions de Mamadi Doumbouya quant à son propre avenir n’auront pas été dévoilées, la période d’apnée politique que traverse la Guinée se prolongera. Au risque de provoquer une asphyxie de la démocratie.
Source Jeuneafrique